Simenon, Georges - Maigret aux assises
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Simenon, Georges - Maigret aux assises краткое содержание
Maigret aux assises читать онлайн бесплатно
Le train arrivait à Toulon. Gaston Meurant, sa mallette à la main, un policier sur les talons, errait sur la place, désorienté, et finissait par entrer à l’Hôtel des Voyageurs, où il choisissait la chambre la moins chère.
Un peu plus tard, on avait la certitude qu’il ne connaissait pas la ville, car il commençait par se perdre dans les rues, atteignait non sans peine le boulevard de Strasbourg où il pénétrait dans une grande brasserie. Il commandait, non un cognac, mais un café, interrogeait longuement le garçon qui paraissait incapable de lui fournir le renseignement demandé.
À midi, il n’avait pas trouvé ce qu’il cherchait et, comiquement, c’était le commissaire Blanc qui s’impatientait.
— J’ai voulu voir moi-même votre bonhomme, téléphonait-il à Maigret. Je l’ai trouvé dans un bar du quai Cronstadt. Il n’a pas dû beaucoup dormir dans le train. Il a l’air d’un pauvre type épuisé de fatigue qui n’en suit pas moins une idée fixe. Il s’y prend mal. Jusqu’ici, il est entré dans une quinzaine de cafés et de bars. Chaque fois, il commande de l’eau minérale. Il a tellement la mine d’un quémandeur qu’on le regarde de travers. Sa question est toujours la même :
« — Vous connaissez Alfred Meurant ?
« Barmans et garçons se méfient, surtout justement, ceux qui le connaissent. Il y en a qui répondent par un geste vague. D’autres demandent :
« — Qu’est-ce qu’il fait ?
« — Je ne sais pas. Il vit à Toulon.
« Mon inspecteur, qui le suit pas à pas, commence à en avoir pitié et a presque envie de lui refiler le tuyau.
« Au train où va Meurant, cela peut durer longtemps et il va se ruiner en eau minérale. »
Maigret connaissait assez Toulon pour connaître au moins trois endroits où Meurant aurait obtenu des nouvelles de son frère. L’encadreur finissait d’ailleurs par atteindre le bon secteur. S’il poursuivait plus avant dans les petites rues qui avoisinent le quai Cronstadt, ou encore si le hasard le poussait jusqu’au Mourillon, il finirait sans doute par décrocher le renseignement qu’il cherchait avec tant d’obstination.
Rue Delambre, Ginette Meurant avait ouvert ses rideaux, commandé du café et des croissants et s’était recouchée pour lire dans son lit.
Elle ne téléphonait ni à Me Lamblin, ni à personne. Elle n’essayait pas non plus de savoir ce que son mari était devenu, ni si la police continuait à s’occuper d’elle.
Ses nerfs ne finiraient-ils pas par craquer ?
L’avocat, de son côté, n’entreprenait aucune démarche et vaquait à ses occupations habituelles.
Une idée vint a Maigret, qui pénétra dans le bureau des inspecteurs et s’approcha de Lucas.
— À quelle heure est-elle allée voir son avocat, hier ?
— Vers onze heures, si j’ai bonne mémoire. Je peux consulter le rapport.
— Ce n’est pas la peine. De toute façon, il était encore temps pour insérer une annonce dans les journaux du soir. Procure-toi tous les journaux d’hier, puis ceux de ce matin, enfin, tout à l’heure, ceux de ce soir. Épluche les petites annonces.
Lamblin n’avait pas la réputation d’un homme à scrupules. Si Ginette Meurant lui demandait de mettre une annonce, hésiterait-il ? C’était peu probable.
Si l’idée de Maigret était bonne, cela indiquerait qu’elle ne connaissait pas l’adresse actuelle de son ancien amant.
Si, au contraire, elle la connaissait, s’il n’avait pas bougé depuis le mois de mars, Lamblin n’avait-il pas donné pour elle un coup de téléphone ? N’avait-elle pas pu le faire elle-même, pendant les vingt minutes passées dans le cabinet de l’avocat ?
Un détail, depuis le début de l’enquête, au printemps, avait frappé le commissaire. La liaison de la jeune femme et de l’homme décrit par Nicolas Cajou avait duré de longs mois. Durant tout l’hiver, ils s’étaient rencontrés plusieurs fois par semaine, ce qui semblait indiquer que l’amant habitait Paris.
Or, ils ne s’en rencontraient pas moins dans un hôtel meublé.
Fallait-il croire que, pour une raison ou pour une autre, l’homme ne pouvait pas recevoir sa maîtresse chez lui ?
Était-il marié ? N’habitait-il pas seul ?
Maigret n’avait pas trouvé la réponse.
— À tout hasard, dit-il à Lucas, essaie de savoir si, hier, il y a un appel téléphonique de chez Lamblin pour Toulon.
Il ne pouvait rien faire d’autre qu’attendre. À Toulon, Gaston Meurant cherchait toujours et il était quatre heures et demie quand, dans un petit café devant lequel on jouait aux boules, il avait enfin obtenu le renseignement désiré.
Le garçon lui désignait la colline, se lançait dans des explications compliquées.
Maigret savait déjà, à ce moment-là, que le frère, Alfred, était bien à Toulon et qu’il n’avait pas quitté les Eucalyptus depuis plus d’une semaine.
Il donnait ses instructions au commissaire Blanc.
— Avez-vous, parmi vos inspecteurs, un garçon qui ne soit pas connu de ces gens-là ?
— Mes hommes ne restent jamais longtemps inconnus, mais j’en ai un qui est arrivé il y a trois jours. Il vient de Brest, car il doit surtout s’occuper de l’arsenal. Il n’est sûrement pas encore repéré.
— Envoyez-le aux Eucalyptus.
— Compris. Il y sera avant Meurant, car le pauvre garçon, soit qu’il veuille faire des économies, soit qu’il n’ait aucune idée des distances, s’est mis en route à pied. Comme il y a des chances pour qu’il se perde deux ou trois fois dans les chemins de la colline...
Maigret souffrait de ne pas être sur place. Malgré leur rapidité et leur précision, les rapports qu’il recevait ne lui donnaient que des renseignements de seconde main.
Deux ou trois fois, ce jour-là, il fut tenté d’aller rue Delambre et de reprendre contact avec Ginette Meurant. Il avait l’impression, sans raison spéciale, qu’il commençait à mieux la connaître. Peut-être, maintenant, trouverait-il les questions précises auxquelles elle finirait par répondre ?
C’était encore trop tôt. Si Meurant s’était dirigé sans hésiter vers Toulon, il devait avoir ses raisons.
Au cours de l’enquête, la police n’avait rien tiré du frère, mais cela ne signifiait pas qu’il n’y avait rien à en tirer.
Gaston Meurant n’était pas armé, c’était déjà un point acquis et, pour le reste, il n’y avait qu’à attendre.
Il rentra chez lui, bougon. Mme Maigret se garda bien de l’interroger et il dîna, en pantoufles, se plongea dans la lecture des journaux, puis mit la radio, chercha un poste pas trop bavard et, n’en trouvant pas, coupa le contact avec un soupir d’aise.
À dix heures du soir, on l’appelait de Toulon. Ce n’était pas Blanc, qui assistait à un banquet, mais le jeune inspecteur de Brest, un nommé Le Goënec, que le commissaire de la brigade mobile avait envoyé aux Eucalyptus.
— Je vous téléphone de la gare.
— Où est Alfred Meurant ?
— Dans la salle d’attente. Il prendra le train de nuit dans une heure et demie. Il a réglé sa chambre d’hôtel.
— Il est allé aux Eucalyptus ?
— Oui.
— Il a vu son frère ?
— Oui. Quand il est arrivé, vers six heures, trois hommes et la patronne jouaient aux cartes dans le bar. Il y avait Kubik, Falconi et Alfred Meurant, tous les trois très détendus. Arrivé avant lui, j’avais demandé si je pourrais dîner et dormir. Le patron était sorti de sa cuisine pour m’examiner et avait fini par me dire que oui. Muni d’un havresac, j’ai prétendu que je faisais la Côte d’Azur en auto-stop tout en cherchant du travail.
Ils l’ont cru ?
Je ne sais pas. En attendant l’heure du dîner, je me suis assis dans un coin, j’ai commandé du vin blanc et je me suis mis à lire. On me jetait un coup d’œil de temps en temps, mais on n’a pas eu l’air de trop se méfier. Gaston Meurant est arrivé un quart d’heure après moi. Il faisait déjà noir. On a vu s’ouvrir la porte vitrée du jardin et il est resté debout sur le seuil en regardant autour de lui avec des yeux de hibou.
— Quelle a été l’attitude du frère ?
— Il a fixé durement le nouveau venu, s’est levé, a jeté ses cartes sur la table et s’est approché de lui.
« — Qu’est-ce que tu viens faire ici, toi ? Qui est-ce qui t’a rancardé ?
« Les autres feignaient de ne pas écouter.
« — J’ai besoin de te parler, a prononcé Gaston Meurant.
« Il s’est hâté d’ajouter :
« — N’aie pas peur. Ce n’est pas après toi que j’en ai.
« — Viens ! lui a ordonné son frère en se dirigeant vers l’escalier qui conduit aux chambres.
« Je ne pouvais pas les suivre tout de suite. Les autres se taisaient, inquiets, et commençaient à me regarder d’une façon différente. Sans doute commençaient-ils à établir une corrélation entre mon arrivée et celle de Meurant.
« Bref, j’ai continué à boire mon vin blanc et à lire.
« La bicoque, quoique repeinte à neuf, est assez vieille, mal bâtie, et on entend tous les bruits.
« Les deux frères se sont enfermés dans une chambre du premier et la voix d’Alfred Meurant, au début, était forte et dure. Si on ne distinguait pas les mots, il était clair qu’il était en colère.
« Ensuite l’autre, le Parisien, s’est mis à parler, d’une voix beaucoup plus sourde. Cela a duré longtemps, pour ainsi dire sans interruption, comme s’il racontait une histoire qu’il avait préparée.
« Après un clin d’œil à ses compagnons, la patronne est venue mettre mon couvert, comme pour faire diversion. Puis les autres ont commandé l’apéritif. Kubik est allé retrouver Freddo dans la cuisine et je ne l’ai pas revu.
« Je suppose que, pour plus de prudence, il a mis les voiles, car j’ai entendu un moteur d’auto.
— Vous n’avez aucune idée de ce qui s’est passé en haut ?
— Sinon qu’ils sont restés enfermés pendant une heure et demie. À la fin, on aurait dit que c’était Gaston Meurant, le Parisien, qui avait le dessus, et son frère qui parlait à voix basse.
« J’avais fini de dîner quand ils sont descendus. Alfred Meurant était plutôt sombre, comme si les choses ne s’étaient pas arrangées à son idée, tandis que l’autre, au contraire, se montrait plus détendu qu’à son arrivée.
« — Tu prendras bien un verre ? proposa Alfred.
« — Non. Je te remercie.
« — Tu repars déjà ?
« — Oui.
« L’un et l’autre m’ont regardé en fronçant le sourcil.
« — Je vais te reconduire en ville en auto.
« — Ce n’est pas la peine.
« — Tu ne veux pas que j’appelle un taxi ?
« — Merci.
« Ils parlaient tous les deux du bout des lèvres et on devinait que les mots n’étaient là que pour remplir un vide.
« Gaston Meurant est sorti. Son frère a refermé la porte, a été sur le point de dire quelque chose à la patronne et à Falconi mais, en m’apercevant, s’est ravisé.
« Je n’étais pas sûr de ce que je devais faire. Je n’osais pas téléphoner au chef pour lui demander des instructions. J’ai cru qu’il valait mieux suivre Gaston Meurant. Je suis sorti comme quelqu’un qui va prendre l’air après dîner, sans emporter mon havresac.
« J’ai retrouvé mon homme qui marchait à pas réguliers sur la route descendant vers la ville.
« Il s’est arrêté pour manger un morceau boulevard de la République. Puis il est allé à la gare se renseigner sur les heures de train. Enfin, à l’Hôtel des Voyageurs, il a repris sa mallette et payé sa note.
« Depuis lors, il attend. Il ne lit pas les journaux, ne fait rien, que regarder devant lui, les yeux mi-clos. On ne peut pas dire qu’il soit souriant, mais il ne paraît pas mécontent de lui.
— Attendez qu’il monte dans le train et rappelez-moi pour me donner le numéro de sa voiture.
— D’accord. Demain matin, je remettrai mon rapport au commissaire.
L’inspecteur Le Goënec allait raccrocher quand Maigret se ravisa.
— Je voudrais qu’on s’assure qu’Alfred Meurant ne quitte pas les Eucalyptus.
— Vous voulez que j’y retourne ? Vous ne pensez pas que je suis brûlé ?
— Il suffira que quelqu’un de chez vous surveille la maison. J’aimerais aussi que le téléphone soit branché sur la table d’écoute. Si on appelait Paris, ou n’importe quel numéro à l’inter, qu’on m’en avise le plus vite possible.
La routine recommençait, en sens inverse : Marseille, Avignon, Lyon, Dijon étaient alertés. On laissait Gaston Meurant voyager seul, comme un grand, mais on se le passait en quelque sorte de main en main.
Il ne devait arriver à Paris qu’à onze heures trente du matin.
Maigret se couchait, avait l’impression d’avoir à peine dormi quand sa femme l’éveillait en lui apportant sa première tasse de café. Le ciel était enfin nettoyé et on voyait du soleil au-dessus des toits d’en face. Les gens, dans la rue, marchaient d’un pas plus allègre.
— Tu rentres déjeuner ?
— J’en doute. Je te téléphonerai avant midi.
Ginette Meurant n’avait pas quitté la rue Delambre. Elle passait toujours le plus clair de son temps dans son lit, ne descendait que pour manger, renouveler sa provision de magazines et de petits romans.
— Rien de nouveau, Maigret ? s’inquiétait le procureur de la République.
— Encore rien de précis, mais je ne serais pas surpris s’il y avait du nouveau très prochainement.
— Que devient Meurant ?
— Il est dans le train.
— Quel train ?
— Celui de Toulon. Il en revient. Il est allé voir son frère.
— Que s’est-il passé entre eux ?
— Ils ont eu une longue conversation, d’abord orageuse, semble-t-il, puis plus calme. Le frère n’est pas content. Gaston Meurant, au contraire, donne l’impression d’un homme qui sait enfin où il va.
Qu’est-ce que Maigret pouvait dire d’autre ? Il n’avait aucun renseignement précis à communiquer au parquet. Depuis deux jours, il tâtonnait dans une sorte de brouillard mais, comme Gaston Meurant, il n’en avait pas moins la sensation que quelque chose se précisait.
Il était tenté d’aller tout à l’heure à la gare attendre lui-même l’encadreur. N’était-il pas préférable qu’il reste au centre des opérations ? Et, en suivant Gaston Meurant dans les rues, ne risquait-il pas de tout fausser ?
Il choisit Lapointe, sachant qu’il lui ferait plaisir, puis un autre inspecteur, Neveu, qui ne s’était pas encore occupé de l’affaire. Pendant dix ans, Neveu avait travaillé sur la voie publique et s’était spécialisé dans les voleurs à la tire.
Lapointe partit pour la gare sans savoir que Neveu n’allait pas tarder à le suivre.
Auparavant, il fallait, que Maigret lui donne des instructions précises.
CHAPITRE VII
Pendant des années, Gaston Meurant, avec son teint clair, ses cheveux roux, ses yeux bleus, son air de mouton, avait été un timide, sans doute, mais surtout un patient, un obstiné, qui s’était efforcé, au milieu des trois millions d’habitants de Paris, d’édifier un petit bonheur à sa mesure.
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