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Simenon, Georges - Lécluse n°1

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Название:
Lécluse n°1
Автор
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неизвестно
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неизвестен
Дата добавления:
16 октябрь 2019
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Simenon, Georges - Lécluse n°1

Simenon, Georges - Lécluse n°1 краткое содержание

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Quand on observe des poissons à travers une couche d’eau qui interdit entre eux et nous tout contact, on les voit rester longtemps immobiles, sans raison, puis d’un frémissement de nageoires aller un peu plus loin pour n’y rien faire qu’attendre à nouveau.


C’est dans le même calme, comme sans raison aussi, que le tramway 13, le dernier « Bastille-Créteil », traîna ses lumières jaunâtres tout le long du quai des Carrières. Au coin d’une rue, près d’un bec de gaz vert, il fit mine de s’arrêter, mais le receveur agita sa sonnette et le convoi fonça vers Charenton. Derrière lui, le quai restait vide et stagnant comme un paysage du fond de l’eau. A droite, des péniches flottaient sur le canal, avec de la lune tout autour.


Un filet d’eau se faufilait par une vanne mal fermée de l’écluse, et c’était le seul bruit sous le ciel encore plus quiet et plus profond qu’un lac.


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Lécluse n°1 читать онлайн бесплатно

Lécluse n°1 - читать книгу онлайн бесплатно, автор Simenon

Était-il possible que Gassin fût inerte à un pareil moment ? Il n’était même pas ivre ! Ducrau le savait si bien qu’il suait d’abondance.

— Pour ce coup-là, je ne l’aurais pas étranglé. Mais il y a mon fils qui en somme est mort à cause de lui, et alors…

Il s’était campé devant Berthe.

— Qu’est-ce que tu as à me regarder comme ça ? Tu penses toujours à la galette que tu n’auras pas ? Tu entends, Gassin ? Je leur fais la blague, en mourant, de ne pas leur laisser un sou !

Maigret, soudain, s’était mis en marche, lentement, sans but apparent, arpentant la pièce en tous sens.

— … Car je vais te dire une bonne chose : ta femme, la mienne, tout ça, ça ne compte pas ! Ce qui compte, par exemple, c’était nous deux quand…

Gassin tenait son verre de la main gauche. Sa main droite n’avait pas quitté la poche de son veston. Il n’avait pas d’arme, c’était certain, car Lucas n’était pas homme à se tromper.

D’un côté du vieux, à deux mètres, il y avait Mme Ducrau, et de l’autre côté il y avait Berthe.

Ducrau avait interrompu sa phrase en voyant Maigret immobile derrière le marinier. La suite fut si rapide que personne ne comprit. Le commissaire se pencha en avant, encerclant les bras et la poitrine du vieux Gassin de ses bras puissants. La lutte fut courte. Un pauvre bonhomme qui essayait en vain de se dégager ! Tandis que Berthe criait d’effroi, que son mari faisait deux pas en avant, la main de Maigret fouillait la poche de l’adversaire et en retirait quelque chose.

C’était fini ! Gassin, libre de ses mouvements, reprenait son souffle. Ducrau attendait de voir s’ouvrir la main de Maigret, et le commissaire, le front couvert de sueur froide, restait un moment à se remettre.

— Vous ne courez aucun danger, dit-il enfin.

Il était derrière Gassin, qui ne le voyait pas. Quand Ducrau s’approcha de lui, Maigret se contenta d’entrouvrir sa main droite, qui contenait une cartouche de dynamite semblable à celles dont on se sert dans les carrières.

— Continuez !… disait-il en même temps.

Alors Ducrau, les mains aux entournures du gilet, la voix forte, mais rauque :

— Je disais, mon vieux…

Il sourit. Il rit. Il dut s’asseoir.

— C’est idiot !…

C’était idiot, en effet, pour un homme comme lui, de sentir ainsi, après coup, ses jambes se dérober. Il est vrai que Maigret, accoudé à la cheminée près de Decharme, attendait que se dissipât un désagréable vertige.


XI

Le bruissement de la pluie, au-delà de la fenêtre ouverte, faisait penser au calme arrosage d’un potager, et c’étaient des bouffées de terreau mouillé qui pénétraient dans la salle à manger avec chaque souffle d’air.

De loin, pour le brigadier Lucas, par exemple, le spectacle devait être affolant de ces êtres figés dans la lumière de la salle à manger comme dans le cadre d’un tableau de maître.

Ducrau fut le premier à se redresser en soupirant :

— Et voilà, mes enfants !

Cela ne voulait rien dire, mais c’était déjà une détente. Il remuait. Il rompait avec la stagnation générale. Il regardait autour de lui avec l’étonnement de quelqu’un qui s’attendait à trouver quelque chose de changé.

Or, rien n’était changé. Chacun était à sa place, immobile et buté. Au point que les pas de Ducrau, qui marcha jusqu’à la porte, apparurent comme un vacarme !

— Cette idiote de Mélie est partie… grommela-t-il en revenant.

Et, tourné vers sa femme :

— Jeanne, tu devrais aller préparer du café.

Elle sortit. La cuisine devait être toute proche, car on entendit presque aussitôt le bruit du moulin, et Berthe se leva pour desservir.

— Voilà !… répéta Ducrau, qui s’adressait surtout à Maigret.

Son regard circulaire donnait son sens à ce mot :

— Le drame est fini. Nous nous retrouvons en famille. On moud du café. On heurte des tasses et des assiettes…

Il était mou, maintenant, et vide, et triste. En homme qui ne sait que faire, il prit sur la cheminée la cartouche que Maigret y avait posée et en regarda la marque, puis il se tourna vers Gassin.

— C’est de chez moi, pas vrai ? De la carrière de Venteuil ?

Le vieux fit signe que oui. Ducrau rêvait sur la cartouche et expliquait :

— Nous en avions toujours à bord, tu te souviens, qu’on faisait exploser dans des endroits bien poissonneux !

Il remit la cartouche à sa place. Il n’avait pas envie de s’asseoir, pas envie non plus de rester debout. Peut-être avait-il envie de parler, mais il ne savait pas au juste que dire.

— Tu comprends, Gassin ? soupira-t-il enfin en se campant à un mètre du marinier.

Celui-ci fixait sur lui le regard de ses petits yeux morts.

— Ou plutôt, tu ne comprends pas, mais ça ne fait rien. Regarde-les !

Il désignait sa femme et sa fille qui, comme des fourmis noires, servaient le café. La porte était restée ouverte et on entendait le chuintement du réchaud à gaz. La maison était grande, pourtant, presque somptueuse, mais on eût dit que la famille l’avait réduite à sa taille.

— Ça a toujours été comme ça ! Je les traîne tous à la force du poignet depuis des années et des années. Puis, pour me changer les idées, je vais au bureau et je gueule sur les crabes !… Puis… Merci. Pas de sucre.

C’était la première fois qu’il parlait à sa fille sans la rudoyer, et elle le regarda avec surprise. Elle avait les yeux gonflés, les joues marbrées de rouge.

— Tu es belle, va ! Et tu sais, Gassin, toutes les femmes sont comme ça à un moment ou l’autre. Voilà la vérité ! Reste calme. On est en famille. Je t’aime bien. Il faudrait qu’on puisse une fois pour toutes…

Machinalement peut-être, Mme Ducrau avait pris un tricot et, assise dans un coin, elle maniait les longues aiguilles d’acier, Decharme tournait sa cuiller dans sa tasse.

— Sais-tu ce qui m’a le plus embêté dans la vie ? C’est encore d’avoir couché avec ta femme ! C’était idiot, d’abord. Je ne sais même pas pourquoi je l’ai fait. Puis, après, je n’étais plus le même avec toi. Je te voyais de ma fenêtre, sur ton bateau, et elle aussi, et la gosse… Dis donc ! La vérité, c’est que ta femme elle-même n’a jamais pu dire à qui elle est. Peut-être à moi, peut-être à toi…

Comme Berthe poussait un profond soupir, il la regarda durement. Cela ne la regardait pas ! Il ne s’inquiétait ni d’elle, ni de sa femme !

— Est-ce que tu comprends, vieux ? Alors, dis quelque chose.

Il tournait autour de Gassin, sans oser le regarder, et il laissait de grands silences entre chaque phrase.

— Au fond, tu as encore été le plus heureux des deux !

Malgré la fraîcheur de la nuit, il avait chaud.

— Veux-tu que je te rende la cartouche ? Moi, tu sais, je me fous de sauter. Mais il faut que quelqu’un reste avec la petite, là-bas…

Son regard tomba sur Decharme, qui fumait une cigarette, et tout le mépris possible à un homme alourdit ses prunelles tandis qu’il laissait tomber :

— Ça t’intéresse ?

Puis, comme l’autre ne trouvait rien à répondre :

— Tu peux rester ! Tu ne me gênes pas plus que la cafetière, sans compter qu’après tout tu n’es même pas capable d’être méchant.

Il avait pris une chaise par le dossier, et il osait enfin la poser en face du vieux, s’asseoir, toucher le genou de Gassin.

— Alors ? Tu ne crois pas qu’on est à peu près tous au même point ? Dites-moi, commissaire, qu’est-ce que je risque pour Bébert ?

On en parlait comme, après dîner, en famille, on eût parlé des prochaines vacances, tandis que les aiguilles à tricoter cliquetaient en cadence.

— Vous vous en tirerez peut-être avec deux ans, peut-être même les jurés vous accorderont-ils le sursis ?

— Je n’en ai pas besoin. Je suis fatigué. Deux ans de tranquillité, c’est bien. Et après ?

Sa femme leva la tête, mais n’alla pas jusqu’à le regarder.

— Après, Gassin, je prendrai un petit chaudron, le plus petit, comme l’Aigle 1…

Et, la gorge soudain serrée :

— Dis-moi quelque chose, nom de Dieu ! Tu ne comprends pas encore qu’il n’y a plus rien d’autre qui compte ?

— Qu’est-ce que tu veux que je te dise ?

Le vieux ne savait pas non plus. Il était abruti. Rien n’est plus déroutant qu’un drame qui fait long feu. Au point que, du coup, il reprenait ses allures timides et restait assis comme un visiteur pauvre, sans oser bouger.

Ducrau lui secouait les épaules.

— Tu vois ! On fera peut-être encore quelque chose ! Demain, tu partiras avec laToison-d’Or. Puis, un beau jour, au moment où tu t’y attendras le moins, tu entendras crier ton nom, d’un remorqueur. Ce sera moi, en salopette ! Les types n’y comprendront rien du tout. On dira que j’ai fait des mauvaises affaires. Ce n’est pas vrai ! La vérité, c’est que je suis fatigué de traîner tout ça après moi…

Il éprouva le besoin de défier Maigret du regard.

— Vous savez, je pourrais encore nier, et il est probable que vous ne trouveriez pas de preuve ! C’est ce que je pensais faire. Si vous saviez ce que j’ai pu penser ! Quand je me suis trouvé blessé chez moi, avec la police sur pied, je me suis promis d’en profiter pour faire enrager tout le monde.

Malgré lui, il se tourna un instant vers sa fille et son gendre.

— C’était une occasion !

Il se passa la main sur le visage.

— Gassin ! cria-t-il, changeant d’idée, les yeux pétillants de malice.

Et, comme le vieux le regardait :

— C’est tout ? Tu ne m’en veux pas ? Tu sais, si tu veux ma femme à la place…

Il avait envie de pleurer, mais c’était impossible. Sûrement avait-il aussi envie d’embrasser son camarade. Il marcha vers la fenêtre, qu’il referma, tira les rideaux avec des gestes méthodiques de petit bourgeois.

— Écoutez, mes enfants. Il est onze heures. Je propose qu’on dorme tous ici et, demain matin, on s’en ira ensemble…

C’était surtout au commissaire que cela s’adressait, ainsi que la suite :

— Ne craignez rien. Je n’ai pas envie de m’enfuir, au contraire ! D’ailleurs, vous avez là-bas un inspecteur. Jeanne ! sers-nous un petit grog avant d’aller nous coucher…

Elle obéit comme une servante, lâchant ses aiguilles. Ce fut Ducrau qui gagna la porte de la cour et cria dans la nuit humide :

— Monsieur l’inspecteur ! Venez, votre patron vous demande…

Lucas était mouillé, ahuri, inquiet.

— Commencez par prendre un verre avec nous.

Si bien qu’en fin de soirée ils étaient tous debout autour de la table, un verre fumant à la main. Quand Ducrau tendit le sien pour trinquer avec Gassin, celui-ci ne tressaillit pas et but bruyamment.

— Il y a des draps dans les lits ?

— Je ne crois pas, dit Berthe.

— Va en mettre.

Un peu plus tard, il confiait à Maigret :

— Je n’en peux plus de fatigue, mais quand même, ça va mieux !

Les femmes trottinaient d’une chambre à l’autre, faisant les lits, cherchant une chemise de nuit pour chacun. Maigret, qui avait mis la cartouche dans sa poche, dit à Ducrau :

— Donnez-moi votre revolver et jurez-moi qu’il n’y en a pas d’autre dans la maison.

— Je le jure.

D’ailleurs, l’atmosphère n’était plus au drame. C’était plutôt l’atmosphère d’une maison mortuaire après l’enterrement, et le sentiment qui dominait était la lassitude. Une fois encore, l’armateur s’approcha de Maigret, et ce fut pour lui dire, en lui désignant l’ensemble de la maison :

— Vous voyez ! Même un soir comme celui-ci, ils parviennent à faire quelque chose de sordide !

Ses pommettes étaient plus rouges que d’habitude. Il devait avoir la fièvre. Il gravit l’escalier le premier, pour montrer le chemin. Des deux côtés d’un couloir s’alignaient des chambres quelconques, meublées à peu près comme des chambres d’hôtel. Ducrau désigna la première.

— C’est la mienne. Vous le croirez si vous voulez : je n’ai jamais pu dormir sans ma femme.

Celle-ci avait entendu. Elle cherchait des pantoufles pour Maigret, dans une armoire, et son mari lui donna une bourrade en disant :

— Ma pauvre vieille ! Allons ! je crois que je te ferai une petite place sur le chaudron.


Quand le jour commença à se lever, Maigret était accoudé à sa fenêtre, tout habillé, les épaules serrées dans une couverture, car la nuit avait été humide. Les graviers de la cour étaient encore mouillés et, s’il ne pleuvait plus, de grosses gouttes fluides tombaient encore de la corniche et des arbres.

La Seine était grise. Un remorqueur et ses quatre bateaux attendaient devant l’écluse. Très loin, au milieu d’une boucle de la rivière, on voyait graviter un autre train de péniches, entre deux lignes de forêt sombre.

La surface de l’eau blanchissait, et Maigret se débarrassa de sa couverture, mit de l’ordre dans sa toilette. Il ne s’était rien passé. Il n’avait rien entendu. Pour se rassurer davantage, il ouvrit la porte et trouva l’inspecteur Lucas debout dans le corridor.

— Tu peux entrer.

Lucas, pâle de fatigue, but de l’eau de la carafe et s’étira devant la fenêtre.

— Rien ! dit-il. Personne n’a bougé. C’est le jeune couple qui s’est endormi le plus tard. À une heure du matin, ils chuchotaient encore.

On vit arriver à vélo le chauffeur, qui n’habitait pas la maison.

— Je donnerais gros pour une tasse de café bien chaud, soupira Lucas.

— Va en faire !

On eût dit que son souhait avait été deviné. On perçut en effet un glissement dans le couloir, et Mme Ducrau, en peignoir, un madras sur la tête, s’avança sans bruit.

— Déjà levés ? s’étonna-t-elle. Je vais vite préparer le petit déjeuner.

Le drame n’avait pas eu de prise sur elle. Elle était la même qu’elle avait dû être toujours, triste et besogneuse.

— Reste quand même dans le corridor.

Maigret se lava à l’eau froide pour s’éveiller, et bientôt il vit en se retournant que le fleuve avait changé de couleur cependant que passait le train de bateaux déjà éclusé. Il y avait du rose au ciel, des chants d’oiseaux. Un moteur bourdonna, celui de la voiture que le chauffeur sortait du garage. Mais ce n’était pas encore le grand jour. On gardait, dans les moelles, la fraîcheur de la nuit, et le soleil n’avait pas donné sa vie au paysage.

— Patron, le voici…

C’était Ducrau qui sortait de sa chambre et qui entrait chez Maigret, les bretelles sur les reins, les cheveux non peignés, la chemise ouverte sur sa poitrine velue.

— Vous n’avez besoin de rien ? Vous ne voulez pas que je vous prête un rasoir ?

Il regarda la Seine, lui aussi, mais d’un autre œil, et constata :

— Tiens ! ils ont déjà recommencé le sable.

C’était à nouveau, en bas, le bruit du moulin à café.


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